Tempête sur Paris en 1854 Émile Zola
A ce moment, la tempête éclatait. Dans le silence lourd danxiété, au-dessus de la ville devenue noire, le vent hurla et lon entendit le craquement prolongé de Paris , les persiennes qui battaient, les ardoises qui volaient, les tuyaux de cheminées et les gouttières qui rebondissaient sur le pavé des rues. Il y eut un calme de quelques secondes ; puis un nouveau souffle passa, emplit lhorizon dune haleine si colossale, que locéan des toitures, ébranlé, sembla soulever ses vagues et disparut dans un tourbillon. Pendant un instant, ce fut le chaos. Dénormes nuages, élargis comme des taches dencre, couraient au milieu des plus petits, dispersés et flottants, pareils à des haillons que le vent déchiquetait et emportait fil à fil. Un instant, deux nuées sattaquèrent, se brisèrent avec des éclats, qui semèrent de débris lespace couleur de cuivre ; et chaque fois que louragan sautait ainsi, soufflant de tous les points du ciel, il y avait en lair un écrasement darmées, un écroulement immense dont les décombres suspendus allaient écraser Paris. Il ne pleuvait pas encore. Tout à coup, un nuage creva sur le centre de la ville, une trombe deau remonta le cours de la Seine. Le ruban vert du fleuve, criblé et sali par le clapotement des gouttes, se changeait en un ruisseau de boue ; et , un à un, derrière laverse, les ponts reparaissaient, amincis, légers dans la vapeur, tandis que, à droite et à gauche, les quais déserts secouaient furieusement leurs arbres, le long de la ligne grise des trottoirs. Au fond, sur Notre-Dame, le nuage se partagea, versa un tel torrent que la Cité fut submergée ; seules, en haut du quartier noyé, les tours nageaient dans une éclaircie, comme des épaves. Mais, de toutes parts, le ciel souvrait, la rive droite à trois reprises parut engloutie... Alors, limmense cité, comme détruite et morte à la suite dune suprême convulsion, étendit son champ de pierres renversées, sous leffacement du ciel.
Émile Zola / Une Page dAmour Texte envoyé par MO
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